Les actifs à revenu fixe à court terme ont subi une correction en mars, les investisseurs cherchant à diminuer leur risque par une recherche indiscriminée de liquidités en réaction à la crise sanitaire mondiale. Jerome Schneider, responsable de la gestion de portefeuille à court terme de PIMCO, analyse les perspectives concernant les actifs à court terme à la lumière des récentes mesures de soutien annoncées par la Réserve fédérale et décrit dans quelle mesure une éventuelle résurgence de la COVID 19 pourrait rejaillir sur les marchés des liquidités et le Libor (le taux interbancaire offert à Londres, une référence pour des billions de dollars d'instruments financiers).
Q : Les marchés ont été durement touchés au premier trimestre, ceux à court terme ne faisant pas exception. Un tel épisode peut-il se reproduire en cas de résurgence de la COVID-19 ou les interventions de la Réserve fédérale ont-elles suffi pour stabiliser la liquidité?
R : Les préoccupations suscitées à l'égard des actifs à risque dans les premiers jours de la mise à l'arrêt de l'économie à l'échelle mondiale, mi-mars, ont déclenché un repositionnement défensif et une ruée vers les liquidités. Contrairement à la crise financière mondiale, les récentes tensions ont été causées par des inquiétudes concernant les liquidités en tant que telles, mais pas la solvabilité du système financier. Les marchés monétaires et d'actifs à durée courte se sont donc retrouvés en plein cœur de la tourmente. Les capitaux des investisseurs en dollars US sur les marchés à court terme ont déferlé comme jamais vers les instruments du marché monétaire émis par le gouvernement américain, au détriment des fonds investissant dans des émetteurs de qualité inférieure qui peuvent s'exposer à un risque de crédit et ont été subséquemment forcés de revendre leurs actifs afin de maintenir leur position obligatoire de trésorerie. Le manque d'appétit pour les nouvelles émissions d'instruments de crédit (bancaires et financières) et les ventes précipitées d’actifs à court terme, notamment le papier commercial du secteur financier et les certificats de dépôt, ont propulsé les écarts de crédit et les rendements absolus à la hausse relativement aux taux sans risque, tels que ceux des fonds fédéraux et des swaps ou financement garantis au jour le jour (« overnight Index Swap » ou OIS et « Secured Overnight Financing Rate » ou SOFR respectivement). Reflétant les tensions sur les marchés monétaires, l’aversion au risque des investisseurs et la demande accrue de liquidités, le Libor – l'indice de référence de nombreux instruments indexés aux marchés du crédit – a creusé l'écart par rapport au taux de rendement de ces OIS (pour atteindre notamment 138 points de base le 31 mars) et SOFR.
Les efforts des institutions financières pour obtenir des capitaux durant cette période de tensions ont été laborieux. Même si les banques ont offert du papier commercial moyennant des écarts historiquement élevés de plus de 100 points de base par rapport au Libor afin d’attirer les investisseurs, l'absence de demande, quelle que soit la prime offerte, a causé une chute des nouvelles émissions. La situation du marché secondaire ne valait guère mieux où les certificats de dépôts de qualité élevée se trouvaient en position délicate puisque les courtiers conservaient jalousement leurs liquidités. Les conditions du crédit n’ont commencé à se stabiliser et à se détendre que lorsque le Conseil de la Réserve fédérale de New York a volé au secours des marchés avec la facilité de liquidité des fonds communs de placement du marché monétaire (« MMLF ») et la facilité de financement de billets de trésorerie (« CPFF »)1 de première catégorie (voir graphique).
Ces interventions ont contribué à restaurer la stabilité, alors que des mesures complémentaires de soutien aux marchés d'instruments de crédit à court terme étaient également mises de l'avant. La MMLF a permis aux fonds d'obligations de sociétés à la recherche active de liquidités de mettre la tête hors de l'eau, une disposition surprenante compte tenu de la réticence des autorités de réglementation à soutenir les fonds de cette catégorie depuis la crise financière mondiale, et de rassurer les investisseurs qui craignaient de voir leurs droits de rachat suspendus en raison de l'érosion des positions de trésorerie.
Les programmes de prêts annoncés par la Réserve fédérale ont également contribué à restaurer la confiance, fortement mise à mal au mois de mars, par un large soutien aux marchés de liquidités et d’instruments de crédit et à amorcer un retour vers la normalité. La banque centrale a de plus démontré sa ferme intention de soutenir l'économie à moyen terme durant sa phase de récupération de la crise de la COVID-19, ses dirigeants ne cachant pas leur opinion favorable des mesures d'urgence. Son vice-président, Richard Clarida, a rappelé aux investisseurs dans une récente entrevue à l'antenne de CNBC que la Réserve fédérale « demeurerait interventionniste, proactive et dynamique » dans sa lutte contre les facteurs de récession tout en disposant de la possibilité de « bonifier les programmes de prêts en fonction des besoins ». Même si la Réserve fédérale se place clairement en alerte pour éviter toute reprise de l'incendie, les épargnants et les investisseurs feraient mieux de se garder de toute complaisance dans ce contexte économique en évolution. Ils auraient ainsi tout intérêt à évaluer sérieusement les avantages et inconvénients des différentes répartitions du risque ainsi que le coût lié à sa disparition totale en se tournant en totalité vers les fonds monétaires.
Q : Comment se déroule la reprise sur les marchés à court terme? Quelles sont les perspectives?
R : Les marchés à court terme ont amorcé une stabilisation. Néanmoins, la liquidité demeure minimale et les écarts de crédit restent élevés ainsi que sensibles aux conséquences économiques du virus comme aux difficultés posées par le fonctionnement quotidien des marchés. Cet aspect affecte également la liquidité, puisque la plupart des courtiers et des institutions bancaires continuent leurs activités dans les conditions moins efficaces de télétravail. Les marchés d’instruments de crédit pourraient encore baisser en raison de la détérioration des bénéfices des sociétés ou des possibilités de faillite parmi les émetteurs d'instruments de crédit à rendement élevé. Ces inquiétudes concernant les obligations de sociétés persisteront à l'horizon cyclique, malgré la stabilisation des sorties de capitaux des fonds investissant dans la catégorie d'actif. Nous nous attendons à ce que la CPFF constitue un gage de stabilité pour les marchés d’instruments de crédit, offrant un financement de soutien pour les émissions de qualité élevée, principalement financières, et accélère une évolution du Libor favorable à un assouplissement des conditions financières. La révision à la baisse des réinitialisations quotidiennes du taux interbancaire offert à Londres se confirme d’ailleurs depuis plusieurs jours, particulièrement le 24 avril avec un repli de 10 points de base. Les émissions bancaires ont augmenté pour satisfaire la reprise progressive de la demande des fonds d'obligations de sociétés, et les placements de la part des banques ont légèrement diminué abaissant le Libor à trois mois sous la barre des 0,90 % pour la première fois depuis la mi-mars. Les anticipations sur les marchés à terme suggèrent un resserrement complémentaire des écarts avec notamment en juin un Libor-OIS à 0,32 % (32 pdb), par rapport à 0,76 % (76 pdb) au comptant. En d'autres termes, les investisseurs s'attendent à ce que la portion à court terme du marché des instruments de crédit converge au cours des prochaines semaines vers des niveaux antérieurs à la crise.
Nous nous attendons à ce que le Libor poursuive son repli du fait du soutien continu procuré par les programmes de prêts de la Réserve fédérale. Dans les faits, une poursuite de la baisse du Libor ne nous surprendrait pas en raison du dynamisme récent observé sur les émissions de papier commercial et de certificats de dépôt. Souvenons-nous que le Libor reste avant tout un indice financier concernant les instruments de crédit.
Il nous semble important de retenir que de nombreux émetteurs non financiers de secteurs fortement cycliques, les plus affectés par la crise, se sont retrouvés sans aucune forme de financement à court terme pour leurs besoins en fonds de roulement, puisqu'aucune mesure de soutien n'a été mise en œuvre pour faciliter l'accès au marché du papier commercial dans des conditions comparables à celles antérieures à l'éclosion de la COVID-19. Cette situation crée une dichotomie sur le marché, entre d'un côté les entités les plus solvables, principalement du secteur financier, qui peuvent continuer à rechercher des financements à court terme moyennant une consolidation des écarts grâce à la MMLF et à la CPFF, et de l'autre, les émetteurs non financiers de seconde catégorie qui continueront à devoir offrir une prime sur leurs émissions à court terme de titres de créance et de papier commercial.
Q : Le contexte révèle-t-il de nouvelles occasions de placement?
R : Les craintes entourant la croissance économique s'accumulant, les investisseurs redoublent de prudence, quel que soit leur marché de prédilection, et continuent d’affecter plus de fonds à des stratégies en espèces. Un retour à un seuil proche de zéro du taux directeur de la Réserve fédérale a suscité une réflexion de notre part sur l'émergence structurelle d'occasions de placement à court terme, puisque malheureusement celui-ci ne contribue pas à rétribuer la cohorte croissante d'investisseurs à la recherche de sécurité et de revenu tout en conservant un positionnement défensif. Comme en 2012, lorsque ce seuil nul avait également été atteint, nous estimons que la meilleure solution consistera à évaluer activement les besoins de liquidité et à répartir la trésorerie entre besoins immédiats et intermédiaires. Les investisseurs à court terme qui disposent d’une trésorerie abondante en raison de leur orientation défensive auraient ainsi intérêt à se tourner vers des catégories d'actif et des stratégies à taux variable, à courte échéance et de qualité élevée, car celles-ci bénéficient normalement de la tendance structurelle favorable de prime élevée sur la liquidité par rapport à la rémunération quasi nulle offerte par les fonds du marché monétaire traditionnels en obligations d'État du fait du niveau des taux directeurs.
Nous estimons que l'important différentiel entre Libor et OIS persistera jusqu'à la fin de l'année, à hauteur de 30 à 40 points de base en moyenne, révélant des occasions relatives de revenu et de rendement global pour les investisseurs à revenu fixe ayant opté pour une répartition du capital défensive. Les placements à échéance courte de qualité élevée pourraient continuer de procurer des taux de rendement nettement supérieurs à 0 %, particulièrement ceux indexés au Libor, pendant encore un certain temps, car la Réserve fédérale et d'autres banques centrales continuent de soutenir les marchés et l'économie dans son ensemble.
PIMCO veillera activement à exploiter les leçons de gestion de portefeuille apprises durant le dernier épisode de taux quasiment nuls, entre 2012 et 2015, pour saisir ces occasions de revenu structurel.
Q : Finalement, comment évoluera le Libor?
R : Cette année devrait marquer le début de la fin pour le taux interbancaire offert à Londres, après la perte de confiance dans les indices traditionnels de taux des instruments de crédit à court terme survenu en 2012, lorsque plusieurs banques contribuant au Libor ont été accusées de manipulation. Depuis, les intervenants sur les marchés ainsi que les autorités de réglementation à l'échelle mondiale ont planché sur des alternatives. De nouveaux indices devraient entrer en vigueur vers la fin de l'année 2021, notamment le taux de financement au jour le jour garanti (« SOFR ») aux États-Unis.
Les perturbations des marchés boursiers liées à la Covid-19 en mars nous ont rappelé que le Libor demeurait une référence pertinente servant notamment de baromètre du prix de la liquidité par rapport au crédit dans le système financier. Néanmoins, ces récentes perturbations boursières ont causé une réaffectation des ressources dédiées à la transition vers le SOFR, et surtout la création d’un programme de prêts aux
entreprises (« Main Street Lending Facility » ou MSFL) pour soutenir l’économie a potentiellement remis en cause les intentions de la Réserve fédérale d'abandonner le Libor. Comme souligné dans une récente période de questions et réponses, le désir de la banque centrale américaine de retenir le SOFR comme indice de base pour les prêts pour sa MSFL a déclenché une vive résistance des banques et des emprunteurs à l'échelle régionale, qui estiment ne pas du tout disposer des moyens de calculer ce nouveau taux et préfèrent dans ces conditions conserver les anciennes références, notamment le Libor. Les effets de cette opposition générale et inattendue se sont propagés jusque dans les couloirs de Wall Street et du Eccles building à Washington2. Même si la transition vers le SOFR comme indice principal pour les taux à court terme devrait se poursuivre, les investisseurs continueront de leur côté à rechercher un indice de remplacement représentant les conditions du crédit à court terme.
Veuillez consulter la page de PIMCO « Investir dans une période incertaine » afin d'obtenir nos derniers conseils sur la volatilité boursière et ses implications pour l'économie et les investisseurs.
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