Conclusion pour les placements
La période actuelle marque à notre avis une claire rupture avec celle que nous caractérisions alors comme la « nouvelle normalité », avec sa croissance inférieure à la moyenne, mais stable, et son inflation constamment en deçà des objectifs des banques centrales. Durant cette période, nombre d’investisseurs ont tiré leur épingle du jeu en s’adonnant à une « quête de rendement » et en investissant dans les « creux du marché », par anticipation des interventions des banques centrales, ainsi que durant la pandémie de la COVID, lorsque des mesures budgétaires soutenaient les actifs à risque. Toutefois, à long terme, nous estimons que les banques centrales auront davantage de difficultés à éliminer la volatilité boursière et donc à soutenir les rendements des marchés financiers.
Faire preuve de résilience
À notre avis, les investisseurs auront désormais tout intérêt à privilégier la résilience de leur portefeuille plutôt que la recherche de rendement, en effectuant une rigoureuse répartition de leur actif dans l’expectative d’un contexte plus incertain et même instable en termes macro-économiques, boursiers et de politique monétaire. De notre côté, nous nous efforcerons de développer la résistance des portefeuilles que nous gérons pour le compte de nos clients et d’exploiter à notre avantage les périodes de volatilité boursière.
La diversification pourrait exiger de redoubler d’attention. Tout comme les dirigeants de sociétés qui visent à diversifier leur chaîne d’approvisionnement, les investisseurs pourraient vouloir tenir compte des facteurs et des risques géopolitiques dans la diversification de leur portefeuille. La démarche peut comporter des résultats inattendus, comme nous l’avons constaté lors la rapide mise au ban de la Russie du système financier mondial. Il est effectivement possible que des gouvernements ou des sociétés se retrouvent dans l’obligation de clarifier leur allégeance géopolitique, risquant ainsi des sanctions, des mesures de contrôle de leurs capitaux, voire la confiscation. Au-delà de la diversification des catégories d’actif, ces aspects géopolitiques pourraient avoir des incidences sur les décisions de placement et justifier des primes de risque.
Un contexte de rendements faibles
Valorisations initiales – malgré la baisse constatée sur les marchés au cours des derniers mois, nous plaidons en faveur d’attentes réalistes en matière de rendement à long terme, anticipant une volatilité macro-économique et boursière accrue. Nos prévisions de cycles plus courts et moins réguliers ainsi que de mesures de soutien moins généreuses, étant donné le changement de contexte en matière d’inflation, nous incitent également à privilégier la résilience des portefeuilles, plutôt que la quête de rendement. Nous entrevoyons de plus une probabilité élevée de récession aux États-Unis et dans d’autres économies avancées au cours des deux prochaines années, qui justifie là aussi une évaluation pertinente du potentiel de rendements boursiers, en se concentrant sur la préservation du capital.
Toutefois, les taux de rendement des indices d’obligations de base ont récupéré depuis les creux constatés pendant la COVID et nous estimons que les marchés de contrats à terme reflètent déjà, ou quasiment, notre scénario de référence en ce qui concerne les taux directeurs maximaux. Les banques centrales devraient disposer d’une meilleure marge de manœuvre pour procéder à des baisses de taux conventionnelles dès l’instant où les pressions inflationnistes apparaîtront maîtrisables, de sorte que les marchés obligataires pourraient procurer des rendements attrayants dans le contexte d’une récession, d’autant plus que les taux d’intérêt sur les marchés dépassent les minimums enregistrés au cours des dernières années.
Nous anticipons des rendements positifs pour la plupart des indices obligataires à long terme et estimons que les titres à revenu fixe, compte tenu de l’augmentation des taux obligataires, joueront un rôle important dans la capacité de résilience de portefeuilles diversifiés.
Des taux directeurs ancrés et une prime de risque obligataire plus élevée
Bien que la période de nouvelle normalité, caractéristique des années 2010, soit bel et bien terminée, nous estimons que des taux directeurs réels faibles pourraient persister une fois cette lutte cyclique contre l’inflation terminée. Les facteurs structurels qui avaient tiré à la baisse les taux directeurs – notamment le vieillissement de la population, l’accumulation d’épargne à l’échelle mondiale et le fort endettement– continueront d’ancrer les taux directeurs à des niveaux faibles, même si des pressions à la hausse peuvent survenir marginalement en raison de facteurs par nature inflationnistes, comme la démondialisation et la priorité donnée à la résilience des chaînes d’approvisionnement.
Dominance financière – Les conséquences directes du resserrement de la politique monétaire sur les marchés financiers et indirectes, par l’intermédiaire des variables macro-économiques, plafonneront vraisemblablement toute hausse des taux directeurs significativement supérieurs au niveau reflété par les marchés de contrats à terme, à moins d’un scénario de risque de dépassement persistant avec révision à la hausse des anticipations d’inflation qui forcerait les banques centrales à précipiter une récession, et non plus seulement à en courir le risque.
Dans ce contexte d’incertitudes accrues dans les perspectives macro-économiques, en particulier pour l’inflation, nous nous attendons à ce qu’une prime de risque s’impose sur les marchés financiers, c’est-à-dire une rétribution du risque obligataire pour les échéances les plus longues. La période de compression de ces primes a vraisemblablement pris fin lorsque la demande de protection du capital contre un risque de récession l’a emporté sur les préoccupations d’inflation excessive. Dans l’ensemble, nous nous attendons à une hausse des primes de risque.
À court terme, une atténuation de la courbe reste possible, à mesure que les investisseurs prennent connaissance des chiffres de l’inflation et évaluent le risque qu’elle persiste, par rapport à celui d’une récession. À plus long terme, nous nous attendons à un retour de courbes plus accentuées dans un contexte où l’inflation risque à la fois de dépasser et de ne pas attendre les objectifs des banques centrales, même si la première alternative a davantage de chances de survenir qu’à l’époque de la nouvelle normalité.
En ce qui concerne les taux d’intérêt sur les marchés, nous nous attendons à ce qu’ils restent conditionnés par de faibles taux directeurs (en tout cas par rapport au début des années 2000). Dans nos perspectives de référence, en nous basant sur le taux du bon du Trésor américain à 10 ans, nous tablons sur une légère hausse par rapport aux niveaux qui prévalaient durant la dernière décennie, à l’exception de l’année 2020 en raison de la COVID, soit entre 1,5 % et 4 %. La fourchette haute implique une possibilité de réévaluation à la hausse comparativement à l’expérience de la précédente décennie, au cours de laquelle la rétribution des bons du Trésor à 10 ans n’a que rarement dépassé 3 %. Cela reflète nos prévisions d’une inflation plus élevée que durant la décennie précédente, lorsque celle-ci restait inférieure aux objectifs des banques centrales, et de risque à la hausse cyclique et structurel. Évidemment, les taux obligataires peuvent toujours fluctuer en deçà et au-delà de ces prévisions de référence.
Hausse de la prime de risque sur les actions
Le raccourcissement des cycles d’affaires et l’intensification de l’instabilité macro-économique pourraient également causer une hausse des primes de risque sur les actions (les investisseurs pouvant exiger une prime plus élevée pour détenir des actions plutôt que des obligations). Un contexte d’inflation plus élevée aura de plus tendance à gruger la croissance nominale des bénéfices, à réduire les marges et à les rendre plus instables.
En plus d’une longue liste de facteurs inflationnistes – stocks supérieurs à la moyenne, perte d’efficacité des chaînes d’approvisionnement, hausse du coût de la main-d’œuvre et nouveaux besoins d’investissement – les marges pourraient également subir les effets de la hausse des taux d’intérêt et de l’impôt. Au cours de la dernière décennie, une portion significative de l’amélioration du rendement des capitaux propres provenait d’une baisse de certaines charges (dépenses d’exploitation, fiscalité et intérêts). Or, cette tendance risque de ne pas se poursuivre à long terme.
En conséquence, nous nous attendons à ce que les marchés boursiers fournissent aux investisseurs des rendements inférieurs à ceux obtenus depuis la crise financière mondiale. La dégradation de visibilité en matière de croissance et de rentabilité incitera probablement à exiger des primes de risque supérieures pour les actions et à privilégier les émetteurs en mesure de dégager des bénéfices réguliers. Ces perspectives renforcent l’importance que nous accordons à la qualité et à la sélection des titres. L’identification des thèmes structurels et des bénéficiaires de ce nouvel environnement revêt une importance cruciale pour générer de l’alpha, puisque les occasions offrant un bêta attrayant se font désormais plus rares.
Recherche de protection contre l’inflation
La perspective de hausse des pressions inflationnistes au cours des cinq prochaines années fait en sorte que les bons du Trésor américain protégés contre l’inflation (TIPS) et certains placements de ce type à l’échelle mondiale fourniront, à notre avis, une couverture contre une hausse inattendue des prix à un coût raisonnable. Aux États-Unis, les cours des TIPS reflètent actuellement un retour de l’inflation à 2 %, soit l’objectif de la Réserve fédérale, dans les 12 à 18 prochains mois. Cela confirme nos prévisions de référence, mais ne constitue aucunement une garantie.
Les marchés de matières premières peuvent également offrir une intéressante protection contre l’inflation, en particulier pour les situations inattendues, avec un bêta historique en la matière (une forte sensibilité positive) qui dépasse largement celui des TIPS. En début d’année, les marchés de matières premières suivaient globalement une tendance au redressement, la reprise de la demande coïncidant avec plusieurs années de sous-investissement dans les capacités de production, en particulier dans le secteur énergétique. Les événements en Ukraine n’ont fait qu’accélérer cette tendance, révélant les besoins des producteurs de s’embarquer sur un cycle d’investissement significatif pour répondre aux besoins énergétiques futurs, tout en traitant les aspects liés au climat et à la sécurité des approvisionnements. À cet égard, il faut à notre avis que les prix demeurent suffisamment élevés pour motiver les décisions d’affectation de capitaux en faveur d’investissements suffisants dans le secteur énergétique, du moins à long terme.
L’immobilier peut également servir de protection contre l’inflation, en particulier dans les segments des copropriétés et de l’autoentreposage, où les baux ont généralement une durée inférieure à une année. En Europe, même les loyers de bureaux et de locaux industriels font souvent l’objet d’une clause d’indexation aux indices des prix. En outre, les données fondamentales demeurent généralement encourageantes dans la plupart des secteurs immobiliers, avec des taux d’occupation qui demeurent élevés et une hausse des coûts de construction qui continuera vraisemblablement à limiter l’offre de nouvelles unités.
Vigilance sur les instruments de crédit de sociétés : priorité à la qualité
De façon générale, la faible liquidité constatée sur les marchés d’instruments de crédit négociés nous incite à conserver une approche visant à augmenter la qualité de nos placements dans cette catégorie, d’autant plus que nos perspectives prévoient davantage d’instabilité macro-économique, un risque de récession à moyen terme et un regain d’incertitude en ce qui concerne les mesures de soutien budgétaire et monétaire. En conséquence, le risque de défaillance et de perte de crédit pourrait augmenter en période de récession par rapport à la dernière décennie, lorsque les investisseurs pouvaient profiter des creux. Nous estimons effectivement que le soutien intensif, qui visait les sociétés dont les titres sont inscrits en bourse dans le cadre des mesures d’urgence mises en œuvre durant la COVID, ne deviendra pas une référence. Bien au contraire, les banques centrales luttent en priorité contre l’inflation, tandis que les gouvernements se préoccupent avant tout des questions de sécurité nationale et d’environnement, de sorte que tout soutien financier aux sociétés passera au second plan, sauf pour celles exerçant des activités dans des secteurs stratégiques aux fins de résilience.
Comme toujours, nous nous fierons à notre équipe mondiale de gestionnaires de portefeuille et d’analystes de recherche en instruments de crédit pour la sélection des surpondérations et des sous-pondérations des titres de société. Nous prévoyons favoriser les placements garantis, en nous efforçant d’obtenir des conditions attrayantes ainsi qu’une documentation claire dans le cas d’instruments de crédit non garantis. Nous nous efforcerons d’éviter les positions qui nous exposeraient à tout risque significatif dans l’éventualité d’une séquence soutenue de défaillances et à nous positionner de sorte à offrir de la liquidité, et non pas à en demander, durant les périodes de tension sur les marchés d’instruments de crédit.
Occasions et risques en crédit privé
Les stratégies de crédit privé peuvent compléter les positions en instruments de crédit négociés en bourse lorsque ceux-ci peinent à offrir des rendements attrayants, et nous nous attendons à dénicher des occasions pour les portefeuilles gérés selon une orientation à long terme ayant une forte tolérance au risque.
Toutefois, certains excès que nous avons constatés sur les marchés négociés se vérifiaient également dans le crédit privé au cours des dernières années, en particulier pour les transactions de prêt de sociétés à fort levier, lesquelles se sont multipliées dans les dernières années. Ces excès devraient créer de nombreuses occasions pour certaines solutions de financement privé, à mesure que les valorisations des émetteurs excessivement endettés s’ajusteront à des hypothèses de croissance et de valorisation plus réalistes. Même si nous nous attendons à des jours plus difficiles pour les positions existantes en crédit privé de sociétés, le potentiel de rendement relatif devrait demeurer supérieur dans les segments moins courtisés. Ainsi, les prêts privés dans le secteur de la consommation et de l’immobilier résidentiel devraient se trouver particulièrement bien placés pour enregistrer d’attrayants rendements au cours des prochaines années, puisque les ménages ont diminué leur endettement pendant plus d’une décennie (contrairement aux sociétés). D’autres segments diversifiés du crédit privé offrent à notre avis un potentiel de rendement excédentaire comparativement à l’ensemble du secteur, du fait de meilleures conditions en général et de valorisations plus attrayantes, notamment dans le financement d’appareils aériens, l’immobilier, la location d’équipements et les redevances.
Marchés émergents : des gagnants et des perdants
Nous nous attendons à ce que les ME (marchés émergents) renferment des occasions à saisir, mais insistons sur l’importance d’une gestion active pour distinguer les émetteurs qui tireront vraisemblablement leur épingle du jeu, comparativement à d’autres, dans cet environnement délicat pour les placements. Certains pays devraient tirer parti de la demande d’investissement, et les exportateurs de matières premières pourraient bénéficier de l’amélioration des modalités commerciales. Simultanément, d’autres pays émergents présentant des données fondamentales et une structure politique fragiles pourraient se trouver en position délicate dans cet environnement de cycles plus courts et de volatilité macro-économique relevée. Les importateurs de matières premières pourraient également souffrir.
Comme nous l’avons souligné, ce monde fracturé exige de prêter une attention soutenue aux lignes de démarcation stratégiques et militaires, de sorte que l’investissement dans les ME nécessite d’accorder beaucoup d’attention à la diversification et aux primes de risque. Cette situation renforce l’intérêt d’une démarche active en termes de gestion et de prise de décision, compte tenu du risque de sanction et de confiscation ainsi que d’éventuelles déconvenues causées par des frictions politiques de nature locale, mais également par des aspects politiques d’ampleur régionale ou mondiale.
Devises : le dollar américain - un port dans la tempête
Malgré sa surévaluation sur la base des critères de référence, nous nous attendons à ce que le billet vert reste soutenu par le risque à moyen terme de récession et par les perspectives de regain de volatilité macro-économique, apparaissant comme valeur refuge durant une période d’instabilité. Ce contexte fait notamment en sorte que la recherche de valeur, en investissant par exemple dans des devises peu onéreuses des ME ou dans celles du G10 de pays exportateurs de matières premières, se concrétise par un panier diversifié plutôt qu’en recourant prioritairement à des paires basées sur le dollar américain.
Occasions de placement mondiales
Au-delà de rendements moins élevés et plus volatils pour l’ensemble des catégories d’actif à long terme, nous nous attendons à une accentuation de la différenciation d’un pays à l’autre dans un contexte d’instabilité géopolitique et de courbes de distribution des risques à extrémités larges. Ce regain de volatilité et de différenciation dans les aspects macro-économiques et les rendements boursiers apportera des risques à éviter et des occasions à saisir. Nous comptons conserver des portefeuilles résilients, mais poursuivrons également une approche globale, visant à maximiser l’univers de placement et à tirer parti des meilleures occasions, tout en atténuant les risques des placements plus fragiles. Ce nouveau contexte – avec des intervenants davantage tournés vers leur marché intérieur, une démondialisation accélérée et une fragmentation accrue des marchés de capitaux – devrait réserver des occasions aux investisseurs disposant des équipes en mesure de les saisir et d’une envergure mondiale.